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Discours d'ouverture par Richard Stallman
(Transcription)
Date : 21 avril 2003
Lieu : Salle de séminaire, Research Institute of Economy, Trade and Industry
(RIETI), (annexe 11ème étage, 1121 Ministry of Economy, Trade and
Industry (METI))
M. Richard Stallman, Projet GNU : Je vais vous parler du logiciel libre; tout d'abord, de son importance éthique, sociale et politique, et ensuite, je dirai quelques mots sur ses conséquences économiques.
Le logiciel libre est une question de liberté. Le mot anglais «free» ne rend pas les choses claires car il a deux significations. Dans votre langue, heureusement, vous avez deux mots différents. Aussi, si vous dites : «jiyu na sofuto», il est très clair que vous ne parlez pas du prix, mais que vous parlez de liberté. C'est pourquoi je vous presse de toujours utiliser votre mot non-ambigu plutôt que le nôtre qui est peu clair, quand vous parlez de logiciel libre en japonais.
La raison d'avoir des logiciels libres est très simple : vivre en liberté et, en particulier, d'être libre de traiter les autres personnes décemment. Le logiciel non-libre dit que vous êtes inutiles et divisés. Il dit que vous ne pouvez même pas dire ce que le programme fait; vous êtes supposés croire ce que vous dit le développeur; et souvent, il ne vous dira pas ce qu'il fait vraiment. Et si ça ne vous plaît pas, vous ne pouvez pas le changer. Même si le développeur a fait le maximum pour rendre le programme utile, personne n'est parfait. Je pourrais écrire un programme, et vous pourriez le trouver à moitié bien pour ce que vous voulez en faire. Peut-être l'ai-je écrit pour des buts différents des vôtres. Personne ne peut tout anticiper. Peut-être l'ai-je fait de la façon que je pensais être la meilleure, mais vous avez une meilleure idée. Personne n'est parfait.
Avec des logiciels non-libres, vous êtes bloqués. Vous devez les utiliser tels qu'ils sont. Vous devez les subir. Et le plus important avec des logiciels non-libres, il vous est interdit de les partager avec d'autres personnes. La société dépend des gens qui s'entraident. Il est utile de vivre avec des voisins qui vous aideront quand vous leur demanderez. Bien sûr, personne n'est forcé d'aider une autre personne, mais si vous êtes amicaux avec les gens, souvent, ils vous aiderons. Aussi, nous ferions mieux d'aider les gens, si nous voulons qu'ils nous aident en retour.
Alors, ça ressemble à quoi, quand quelqu'un vous dit que vous n'avez pas le droit d'aider quelqu'un d'autre? Voici une connaissance utile et vous pourriez aider votre prochain en la partageant, mais il vous est interdit de partager avec d'autres personnes. Cela sape la cohésion de la société, l'éclatant en individus isolés qui ne peuvent s'entraider.
Le logiciel libre est l'opposé de cela. Le logiciel libre
signifie que vous avez quatre libertés essentielles. La
liberté zéro est la liberté d'exécuter
le programme pour tout usage, de la manière que vous voulez.
La liberté un est la liberté de vous aider en
étudiant le code source pour voir ce que fait le programme
et le modifier pour qu'il s'adapte à vos besoins. La
liberté deux est la liberté d'aider votre prochain en
distribuant des copies aux autres. Et la liberté trois est
la liberté d'aider à construire votre
communauté en publiant une version améliorée
de sorte que d'autres bénéficient de votre aide en
utilisant votre version à la place. Avec ces
libertés, les utilisateurs ont le contrôle du logiciel
qu'ils utilisent. Si ces libertés manquent, alors le
propriétaire (du logiciel) contrôle le logiciel et
contrôle les utilisateurs.
Nous savons tous que les ordinateurs ne prennent pas réellement de décisions eux-mêmes. Ils font ce que les gens leur disent de faire. Mais quels sont les gens qui leur disent que faire? Quand vous utilisez votre ordinateur, pouvez-vous lui dire quoi faire, ou est-ce quelqu'un d'autre qui le fait? Qui contrôle votre ordinateur? C'est le propos du logiciel libre. Les libertés dans la définition du logiciel libre, libertés zéro, un, deux et trois. La raison pour laquelle ce sont les libertés qui comptent, c'est parce que ces libertés sont nécessaires aux citoyens pour contrôler leurs propres ordinateurs. Vous avez besoin de la liberté zéro pour être capable de faire le travail que vous voulez avec votre ordinateur. Vous avez besoin de la liberté un pour faire faire au logiciel ce que vous voulez qu'il fasse. Si vous n'avez pas la liberté un, vous êtes bloqués; vous êtes prisonnier de votre logiciel.
Mais tout le monde n'est pas programmeur. Si nous avions seulement la liberté un, alors les programmeurs pourraient modifier le logiciel pour faire ce qu'ils veulent. Mais si chaque programmeur devait faire ces changements personnellement, nous n'aurions pas vraiment de contrôle. Nous serions limités à ce que chacun de nous, individuellement, pourrait faire. Les non-programmeurs n'en tireraient aucun bénéfice. C'est pourquoi les libertés trois et deux sont cruciales, parce qu'elles permettent à un groupe d'utilisateurs de travailler ensemble et de faire faire au logiciel ce qu'ils veulent, conjointement, qu'il fasse. Aussi, vous n'êtes pas limité à le changer vous-même individuellement. Vous et cinquante autres personnes qui voulez la même chose, vous pouvez l'obtenir ensemble. Si deux ou trois d'entre vous sont des programmeurs, ils peuvent faire les modifications, et ils peuvent les distribuer à tous les autres. Vous pourriez tous donner de l'argent et payer un programmeur pour faire les changements que vous voulez. Votre société pourrait payer un programmeur pour faire les changements que votre société souhaite. Ensuite, si vous publiez la version améliorée, tout le monde peut l'utiliser. Par conséquent, toute la société a le contrôle sur ce que son logiciel fait.
Le logiciel libre est une méthode, une méthode démocratique, pour décider du développement d'un logiciel. Mais c'est démocratique d'une manière inhabituelle, car nous ne faisons pas d'élection, et nous ne disons pas à chacun ce qu'il doit faire. Personne ne dit aux gens ce qu'ils doivent faire dans la communauté du logiciel libre; chacun prend ses propres décisions. Mais voici comment cela fonctionne : si beaucoup de gens veulent que le logiciel s'améliore dans une direction, beaucoup de gens travaillerons pour le modifier, aussi, le logiciel se développera rapidement dans cette direction. Si peu de gens veulent que le logiciel se développe dans cette direction, peu d'entre eux feront un effort, et alors il se développera lentement dans cette direction. Si personne ne veut qu'il se développe dans cette direction, il ne le sera pas. Parce que chacun de nous décide de ce qu'il va faire, nous contribuons tous à ce qui arrive et à la décision de la direction que prendra le logiciel.
Donc, la société a un contrôle collectif sur la manière dont se développera le logiciel. Mais vous pouvez, individuellement, ou tout groupe ou société, peut décider de le développer eux-mêmes. Le résultat est que le logiciel libre tend à faire ce que les utilisateurs veulent, plutôt que ce que les développeurs veulent.
Les gens demandent souvent, «Si tout le monde est libre de modifier le logiciel, qu'advient-il de la compatibilité?» En fait, les utilisateurs aiment la compatibilité. Ce n'est pas la seule chose qu'ils apprécient. Quelquefois, certains utilisateurs veulent un changement incompatible car il apporte d'autres bénéfices, et si c'est le cas, ils peuvent le faire. Mais la plupart des utilisateurs veulent la compatibilité. Le résultat est que la plupart des développeurs de logiciel libre essaient de toutes leurs forces d'être compatibles. Imaginez ce qui arriverait si je créais une modification incompatible dans mon programme et que les utilisateurs ne l'aimassent pas. Un utilisateur modifierait le programme et le rendrait compatible, et alors la plupart des utilisateurs préféreraient sa version. Donc sa version deviendrait populaire et la mienne serait oubliée. Maintenant, je ne veux pas que cela arrive, bien sûr. Je veux que les gens aiment et utilisent ma version, aussi, je vais le reconnaître par avance et je rendrai ma version compatible dès le début, car je veux que les gens la préfèrent. C'est pourquoi, dans notre communauté, les développeurs ne peuvent pas résister à ce que veulent les utilisateurs. Nous devons les suivre, ou les utilisateurs iront où ils veulent et nous laisseront derrière.
Mais si vous regardez du côté des développeurs de logiciel non-libres, ceux qui sont très puissants peuvent imposer l'incompatibilité et ils sont si puissants que les utilisateurs ne peuvent rien y faire. Microsoft est réputé pour cela. Ils créent une incompatibilité dans un protocole, et alors les utilisateurs sont bloqués avec cela. Mais il ne s'agit pas que de Microsoft. Considérez le WAP, par exemple. Le WAP contient des versions modifiées de protocoles Internet ordinaires, modifiés pour être incompatibles, et l'idée était qu'ils feraient ces téléphones et ils auraient dit «ils peuvent communiquer avec l'Internet», mais puisqu'ils n'avaient pas utilisé les protocoles Internet ordinaires, l'incompatibilité aurait été imposée à l'utilisateur. C'était leur plan. Il n'a pas fonctionné, heureusement. Mais c'est le danger que vous affrontez quand les utilisateurs n'ont pas vraiment le contrôle, quelqu'un essaiera d'imposer l'incompatibilité aux utilisateurs.
Le logiciel libre est fondamentalement une question politique, éthique et sociale. J'ai expliqué cet aspect. Il a également des conséquences économiques. Par exemple, des logiciels non-libres peuvent être utilisés pour créer de très riches sociétés, où peu de gens récoltent de l'argent de tout le monde autour du globe, et ces quelques personnes deviennent très riches et les autres sont démunis. Il y a beaucoup de pays (le Japon n'est pas l'un d'eux, je crois) où les gens qui ont les moyens d'avoir un ordinateur, ne peuvent habituellement pas se permettre de payer pour des logiciels non-libres, pour l'autorisation d'utiliser les logiciels non-libres. Aussi, dans ces pays, le système des logiciels non-libres crée une terrible pénurie. Mais dans chaque pays, l'argent est extorqué à la plupart des gens et se concentre dans les poches de quelques personnes qui sont devenues très riches grâce aux logiciels non-libres. Avec le logiciel libre, vous ne pouvez pas faire cela. Vous ne pouvez pas extorquer beaucoup d'argent aux gens, mais vous pouvez faire des affaires avec eux tant que vous leur fournissez un réel service.
Les affaires dans le logiciel libre existent déjà. En fait, j'ai monté une société de logiciel libre en 1985. Je vendais des copies de GNU Emacs. Je cherchait un moyen pour gagner de l'argent avec le logiciel libre. Alors j'ai dit, «Payez-moi 150 dollars, et je vous enverrai une bande avec l'éditeur de texte GNU Emacs.» People started paying me, and I mailed them tapes. J'ai gagné suffisamment d'argent pour en vivre. J'ai arrêté cela car j'ai créé la Free Software Foundation (Fondation pour le logiciel libre), et il m'a semblé approprié pour la Free Software Foundation de commencer à distribuer GNU Emacs. Je ne voulais pas entrer en concurrence avec la Free Software Foundation, je devais donc trouver un autre moyen. Pendant plusieurs années, la Fondation a gagné suffisamment d'argent de cette façon pour payer plusieurs employés, y compris les programmeurs. Donc en fait, si je l'avais fait moi-même, je serais probablement financièrement très à l'aise en vendant des copies de logiciels libres.
Après cela, j'ai créé une autre société de logiciel libre où j'effectuais des modifications contre rémunération.
Avec un logiciel non-libre, vous ne pouvez rien modifier. Vous êtes prisonnier du logiciel. Donc soit vous l'utilisez en l'´tat, soit vous ne l'utilisez pas du tout. Avec le logiciel libre, vous avez ces deux choix, mais vous avez également un autre choix, en fait, beaucoup de choix différents. Vous pouvez faire des modifications plus ou moins importantes dans le programme, et utiliser le programme modifié.
Maintenant, si vous êtes programmeur, vous pourriez faire les modifications vous-même. Mais supposez que vous ne le soyez pas. Alors, vous pouvez payez un programmeur pour faire les modifications à votre place. Par exemple, si ce ministère utilise un programme et que les gens trouvent que ce programme ne fonctionne pas à leur satisfaction, vous pouvez facilement payer un programmeur pour le modifier à votre convenance. C'est le genre d'affaires dans le logiciel libre que j'ai fait pendant plusieurs années dans les années 1980. (J'aurais pu continuer à le faire, mais j'ai reçu une grande récompense et je n'en ai plus eu besoin).
De nos jours, beaucoup de gens vivent de cette façon. J'ai récemment entendu parler de quelqu'un en Amérique du Sud qui disait connaître trente personnes qui en vivaient. L'Amérique du Sud ne fait pas partie des régions les plus avancées du monde technologiquement, mais cela a déjà commencé là-bas. En 1989 ou 1990, je crois, une société se créait pour faire ce type d'affaires, et cette société fut créé par trois personnes. En quelques années, elle s'est développée pour atteindre cinquante personnes, et elle a été bénéficiaire chaque année. Ils auraient pu continuer ainsi, mais ils sont devenus avides, et donc commencèrent à développer du logiciel non-libre et peu de temps après, il furent racheté par Red Hat.
De toute manière, le logiciel libre permet une nouvelle façon de faire des affaires qui n'existe pas dans le monde du logiciel propriétaire. C'est pourquoi les gens se demandent souvent de quelle façon le logiciel libre affecterait l'emploi. Supposons que chaque utilisateur d'ordinateur ait la liberté. Supposons, par conséquent, que tous les logiciels soient des logiciels libres. En d'autres mots, si vous avez un programme, vous avez la liberté de l'exécuter, de l'étudier, de le modifier et de le redistribuer. Qu'est-ce que cela produirait comme effets sur l'emploi dans le domaine de la technologie de l'information?
De tous les employés dans ce domaine, seule une petite fraction programme, pour la plupart des logiciels personnalisés, écrits pour un seul client. Ceci est tout à fait correct aussi longtemps que le client obtient le code source et tous les droits pourcontrôler le logiciel une fois qu'il a été payé, alors ceci est légitime. En fait, c'est un logiciel libre pour le client qui le possède. [Par conséquent, seule la programmation qui n'est pas spécifique au client, est réellement non-libre].
Donc, de cette fraction qui concerne la programmation, la quasi-totalité est du logiciel personnalisé; le logiciel à publier représente donc une petite fraction d'une petite fraction du total [secteur des Technologies de l'Information].
Donc, que pourrait faire le logiciel libre? Il pourrait éliminer cette fraction ténue de l'emploi, mais peut-être pas. Parce que la possibilité de payer ces programmeurs en restreignant les utilisateurs disparaîtrait, il y aurait alors une nouvelle possibilité de soutenir les programmeurs qui seraient payés pour faire les améliorations et les extensions dans le logiciel libre. Alors, perdrons-nous plus d'emplois ou en gagnerons-nous plus? Personne ne le sait. C'est impossible à dire. Ce que nous savons, c'est que cette perte d'emplois dans le domaine des technologies de l'information, est limitée à une petite fraction d'une petite fraction, qui programme pour le grand-public. Le reste continuera de la même manière que maintenant. Aussi, il est clair que ce n'est pas un problème pour l'emploi.
Et que dire d'un autre problème que les gens soulèvent parfois : Pourrons-nous développer suffisamment de logiciels et les rendre libres? La réponse est évidente car nous le faisons déjà. Les gens qui posent cette question pourraient tout aussi bien demander si les avions se maitiennent réellement en l'air? Eh bien, j'ai volé dans un avion. Vous avez tous probablement déjà voyagé en avion aussi. Je pense qu'il peuvent se maintenir en l'air. Dans le logiciel libre aujourd'hui, nous avons des centaines de gens, peut-être des milliers, qui sont payés pour développer des logiciels libres. Mais nous avons plus d'un demi-million de développeurs volontaires de logiciels libres qui travaillent à temps partiel, qui ne sont pas payés et qui développent beaucoup de logiciels.
En fait, le commerce de logiciels libres n'est pas nécessaire pour que le logiciel libre fasse son oeuvre. Le commerce de logiciels libres est très souhaitable. Plus nous pourrons développer d'institutions qui rassemblent des fonds des utilisateurs pour les développeurs de logiciels libres, plus nous pourrons produire de logiciels libres, et mieux nous pourrons les produire. Aussi, ce serait certainement souhaitable, mais pas crucial. Nous avons déjà développé deux systèmes d'exploitation complets, deux interfaces graphiques de bureau et deux suites office qui sont des logiciels libres.
Les gens cherchent de manière inventive, des moyens de financer le logiciel libre, et certains [moyens] fonctionnent et d'autres pas, comme l'on peut s'y attendre. Par exemple, l'été dernier, il y avait un produit que les gens avaient aimé mais qui était non-libre, appelé Blender, et la société décida qu'il n'était pas nécessaire de continuer à le maintenir ou à le vendre. Ils l'ont donc arrêté. Mais les développeurs ne voulaient pas que cela s'arrête, alors ils ont fait un marché : s'ils pouvaient lever 100 000 dollars, ils pourraient acheter les droits et rendre le logiciel libre. Alors, ils se tournèrent vers la communauté, et en quelques semaines, ils récoltèrent l'argent nécessaire. Blender est maintenant un logiciel libre. Ceci suggère que nous pourrions peut-être récolter de l'argent de la communauté de la même manière pour réaliser des extensions spécifiques.
Un programmeur qui a un nom, une réputation pour son adresse, pourrait venir à la communauté et dire, «Si les gens mettent cette somme d'argent, je ferai le travail». Il n'a pas besoin de faire tout le travail lui-même. Il peut employer d'autres programmeurs pour travailler avec lui, et c'est comme cela que vous pourriez démarrer. Avant d'avoir un nom, avant que vous puissiez rejoindre la communauté grâce à votre propre réputation, vous pourriez travailler en tant qu'apprenti pour d'autres programmeurs. Ils lèvent les fonds, ils supervisent le travail; en faisant cela, vous pouvez éventuellement acquérir une réputation aussi, et vous pouvez ainsi aller chercher des clients.
Il y a aussi, bien sûr, un rôle légitime de financement des logiciels utiles de la part du gouvernement, tout comme les gouvernements financent la recherche scientifique destinée à servir aux citoyens, et même seulement pour le bien de la curiosité humaine, mais certainement pour servir aux citoyens, au public. Il est tout autant légitime pour les gouvernements de financer le développement de logiciels qui serviront au public, et quand le développement est terminé, le donner au public et de dire : «Tout le monde peut maintenant utiliser et améliorer ceci. Il s'agit du savoir de l'humanité». Car c'est de cela dont il s'agit. Il s'agit de connaissances humaines, de savoir qui appartient à l'humanité, à tout le monde. Un programme non-libre est un savoir restreint, un savoir qui est gardé sous contrôle de quelques-uns, les autres personnes ne peuvent pas vraiment y avoir accès. Elles ne peuvent l'utiliser que par tolérance. Elles ne peuvent jamais accéder au savoir.
Pour cette raison, il est essentiel que les écoles utilisent des logiciels libres. Il y a trois raisons pour lesquelles les écoles devraient utiliser exclusivement des logiciels libres. La raison la plus superficielle est d'économiser de l'argent. Même dans un pays développé, les écoles n'ont jamais assez d'argent, et c'est pourquoi l'utilisation d'ordinateurs dans les écoles est mesuré. Mais si les écoles utilisent des logiciels libres, alors elles ont la liberté de faire des copies et de les redistribuer à toutes les écoles et elles n'ont pas besoin de payer pour utiliser les logiciels. Donc, les écoles peuvent ainsi installer plus d'ordinateurs et rendre plus d'installations disponibles. De plus, le système d'exploitation GNU/Linux est plus efficace que Windows, de sorte que vous pouvez utiliser un ordinateur plus vieux, moins puissant et moins cher. Vous pouvez peut-être utiliser un ordinateur d'occasion dont quelqu'un d'autre s'est débarrassé. C'est également une autre manière de faire des économies. C'est évident, mais c'est superficiel.
Une raison plus importante pour les écoles d'utiliser des logiciels libres, se situe dans l'intérêt de l'enseignement. Vous voyez, pendant les années d'adolescence, des étudiants vont vouloir apprendre tout ce qu'il y a à savoir sur le mécanisme d'un système d'ordinateur. Ces personnes peuvent devenir de bon programmeurs. Si vous voulez développer un fort potentiel de programmation, des gens préparés, pas seulement pour travailler dans une grosse équipe de manière plutôt mécanique, mais des gens qui prendront des initiatives, feront de grandes choses, développeront des programmes puissants et passionnants, alors vous avez besoin d'encourager cet élan pour le faire, chaque fois qu'un enfant a cette impulsion. Donc il est important de fournir des installations et un environnement social qui encourage ce type d'enseignement à se développer. Le moyen d'y arriver, c'est que les écoles devraient utiliser des logiciels libres, et quand un élève commence à se questionner : «Comment est-ce que cela fonctionne en fait?» le professeur peut dire :«C'est fait par le programme Fubar. Tu peux trouver le code source du programme Fubar ici. Lis-le et vois par toi-même comment il fonctionne». Puis, si un élève dit : «Vous savez, j'ai une idée pour l'améliorer» le professeur peut dire : « pourquoi ne pas essayer? Essaie de l'écrire. Fais le changement dans le programme Fubar pour modifier cette fonctionnalité».
Pour apprendre à être un bon écrivain, vous devez lire beaucoup et écrire beaucoup. C'est la même chose quand vous écrivez des logiciels : vous devez lire beaucoup de logiciels et en écrire beaucoup. Pour apprendre, pour comprendre de gros programmes, vous devez travailler avec de gros programmes. Mais comment pourriez-vous débuter par cela? Quand vous commencez, vous ne pouvez pas écrire un gros programme vous-même et faire un bon travail, parce que vous n'avez pas appris comment le faire. Donc, comment allez-vous apprendre? Vous devez lire les gros programme existants et essayer d'y faire de petits changements. Parce qu'à ce stade, vous ne pouvez pas écrire de gros programmes par vous-même, mais vous pouvez écrire une petite amélioration dans un gros programme.
C'est ainsi que j'ai appris à être un bon programmeur. J'avais une opportunité particulière à l'Institut de technologie du Massachusetts (M.I.T.). Il y avait un laboratoire où ils avaient écrit leur propre système d'exploitation qu'ils utilisaient. J'y suis allé et ils me dirent : «Nous voudrions vous embaucher» Ils m'embauchèrent pour améliorer les programmes dans ce système d'exploitation. C'était ma deuxième année d'université. À l'époque, je n'aurais pas pu écrire tout un système d'exploitation moi-même. Je n'aurais pas pu écrire ces programmes à partir de zéro, mais je pouvais les lire et leur ajouter une fonctionnalité puis une autre et une autre et encore une autre. Chaque semaine, j'ajoutais une autre fonctionnalité à un programme. En faisant cela de nombreuses fois, j'ai développé mes compétences. Dans les années 1970, la seule façon d'obtenir ce type d'opportunité était de se trouver dans un endroit très particulier. Mais aujourd'hui, nous pouvons donner cette opportunité à chacun. Tout ce dont vous avez besoin, c'est d'un PC exécutant le système GNU/Linux avec le code source, et vous avez cette opportunité. Aussi, vous pouvez facilement encourager les adolescents japonais, ceux d'entre eux qui sont fascinés par les ordinateurs, à devenir de bons programmeurs.
J'ai un ami qui était professeur de lycée dans les années 1980, et qui monta la première machine UNIX dans un lycée. Il enseigna alors aux lycéens qui devinrent alors de bons programmeurs. Plusieurs d'entre eux étaient de très bon programmeurs avec un certain renom quand ils furent diplômés. Je suis sûr chaque lycée recèle quelques personnes qui ont ce talent et qui voudront le développer. Ils ont juste besoin d'une opportunité. C'est la deuxième raison pour laquelle les écoles devraient utiliser exclusivement des logiciels libres.
La troisième raison est encore plus fondamentale. Nous voulons que les écoles enseignent les faits et les compétences, bien sûr, de bonnes dispositions morales, ce qui signifie, être préparé à aider d'autres personnes. Cela signifie que l'école devrait dire aux enfants : «Tout logiciel qui se trouve ici peut être copié. Copiez-le et amenez-le à la maison. C'est ce pourquoi il est là. Si vous amenez un logiciel à l'école, vous devez le partager avec les autres enfants. Si vous ne voulez pas le partager avec les autres, ne l'amenez pas ici, il n'a rien à faire ici, parce que nous enseignons aux enfants à s'entraider». L'éducation morale est importante pour toutes les sociétés.
Je n'ai pas inventé l'idée de logiciel libre. Le logiciel libre a commencé dès qu'il y a eu deux ordinateurs de même type, parce que les gens utilisant l'un écrivent un logiciel, et les gens utilisant l'autre disent : «Vous savez comment résoudre ce problème?» et ils répondent : «Oui. Nous avons écrit quelque chose pour résoudre ce problème. En voici une copie». Aussi, ils commencent à échanger des logiciels qu'ils ont développé, de sorte qu'ils puissent tous développer plus. Mais dans les années 1960, il y eut une tendance à les replacer par des logiciels non-libres, une tendance pour assujettir les utilisateurs, pour leur dénier la liberté.
Quand j'étais en première année d'université, il m'a été donné de voir un exemple moral qui m'a impressionné. J'utilisais les ordinateurs d'une salle informatique, et dans cette salle, les responsables disaient : «C'est une institution scolaire et nous sommes là pour que les gens apprennent l'informatique. Aussi, nous avons une règle : chaque fois qu'un logiciel est installé sur un système, le code source doit être affiché de sorte que les gens puissent le lire et apprendre comment le logiciel fonctionne». Un des employés a écrit un programme et commença à le vendre comme logiciel non-libre. Il ne vendaient pas de copies de la façon dont je le faisais; il restreignait les utilisateurs. Mais il offrit à l'école une copie gratuite, et les personnes en charge de la salle informatique dirent alors : «Non, nous n'installerons pas ceci ici car notre règle est que le code source doit être affiché. Si vous ne nous laissez pas afficher le code source de ce programme, nous n'utiliserons pas votre programme». Cela m'a inspiré parce que c'était une volonté de renoncer à la commodité pour le bien de quelque chose plus important qui est la mission d'une école : l'éducation.
Le laboratoire où je travaillais au MIT était cependant une exception dans les années 1970, à cause du fait que nous avions un système d'exploitation qui était libre. La plupart des ordinateurs utilisaient des systèmes d'exploitation non-libres à l'époque. Mais j'ai été inspiré par l'exemple que j'y ai vu et j'ai appris à vivre de cette manière. J'ai appris un mode de vie où l'on enseigne ses connaissances aux autres plutôt que de les garder pour soi. Puis, cette communauté mourut au début des années 1980. À ce moment-là, je démarrais le mouvement du logiciel libre. Je n'ai pas créé le logiciel libre. J'ai appris les pratiques du logiciel libre en rejoignant un laboratoire où les gens le pratiquait déjà. Ce que j'ai fait, c'est de muer cela en un mouvement éthique et social, pour dire que c'est une question de choix entre une bonne société et une horrible société, entre un mode de vie propre, aimable et utile où nous avons la liberté, et un mode de vie où chacun est prisonnier de divers empires qui les conquièrent, où les gens croient qu'il n'y a pas d'autre choix que d'abandonner leur liberté.
Théoriquement, d'un côté les gens disent : «Oh, personne ne vous force à utiliser des logiciels non-libres. Personne ne vous force à utiliser Microsoft Word». D'un autre côté, les gens disent : «Je n'ai pas le choix». Pratiquement, il ne s'agit pas d'une situation de choix individuel. Oui, c'est vrai, si vous êtes déterminé à être libre, déterminé à le rejeter, vous pouvez le faire, mais cela demande beaucoup de détermination. Quand j'ai débuté il y a vingt ans, cela demandait un immense travail d'utiliser un ordinateur sans logiciels non-libres. Tous les systèmes d'exploitation pour les ordinateurs modernes en 1983 étaient propriétaires. Vous ne pouviez avoir d'ordinateur et l'utiliser qu'avec des logiciels non-libres. Pour changer cela, nous avons passé des années à travailler, et nous avons réussi, nous l'avons changé.
Pour vous aujourd'hui, la situation est plus facile. Il y a des systèmes d'exploitation libres. Vous pouvez obtenir un ordinateur moderne et l'utiliser avec des logiciels libres, exclusivement avec des logiciels libres. Ainsi, de nos jours, plutôt que de faire un sacrifice énorme, vous n'avez qu'à faire un petit sacrifice, temporaire, et vous pouvez alors vivre en liberté. En travaillant ensemble, nous pouvons éliminer ce sacrifice. Nous pouvons rendre plus facile de vivre en liberté. Mais pour cela, nous devons travailler. Nous devons reconnaître la liberté comme une valeur sociale.
Chaque gouvernement essaie d'effectuer son travail de manière peu chère, et chaque agence gouvernementale a un travail spécifique à faire. Aussi, quand des agences gouvernementales choisissent leurs ordinateurs, elles ont tendance à se cantonner à des questions pratiques : combien cela coûtera-t-il, quand pourrons-nous le faire fonctionner, etc...
Mais le gouvernement a une mission plus importante, qui est de guider le pays dans une direction saine, qui soit bénéfique pour les citoyens. Donc, quand les agences gouvernementales choisissent le système pour leurs ordinateurs, elles devraient faire ce choix de sorte à mener le pays vers le logiciel libre. C'est mieux pour l'économie du pays car les utilisateurs, au lieu de payer simplement pour la permission d'exécuter le logiciel, paieront des gens dans leur région pour l'améliorer et l'adapter pour eux. Aussi, au lieu de drainer tout vers Redmond, Washington, l'argent circulera dans la région en créant des emplois localement, plutôt que de remplir les poches de quelqu'un. Mais plus important encore, il crée un mode de vie où le pays et les gens sont indépendants et libres.
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Copyright (C) 2003 Richard M. Stallman
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Dernière mise à jour : $Id: rieti.fr.html,v 1.1 2004/09/17 17:45:40 taz Exp $
Traduction : Cédric Corazza Révision : trad-gnu@april.org